Le foncier n’est plus une question pour les guyanais. Il est le constat d’une spoliation des terres qui va aujourd’hui jusqu’à la dépossession des titres de propriété des locaux au prétexte d’opérations d’intérêt national (OIN). Cette stratégie rappelle comment par un régime complètement dérogatoire au droit commun le Territoire à 95% est devenu la propriété de l’Etat en Guyane au détriment des habitants qui y vivaient (Ordonnances Royales, décrets des 15 et 17 novembre 1898). Deux ans après la départementalisation, c'est à dire en 1948, l'Etat publie le Décret n°48-2028 du 27 décembre concernant la Réglementation des concessions domaniales qui stipule que les terres vacantes et sans maîtres sont propriétés de l'Etat. Du déjà vu avec les Décrets sous la colonie en 1898. En fait, il s'agit de terrains que l'Etat s'est auto-attribué comme si le pays a commencé à exister en 1503 et que le territoire était vierge de civilisation.
Pour bien comprendre la philosophie qui anime cette démarche de l’Etat, il apparaît nécessaire de se pencher sur l’histoire de ce territoire depuis le 16ème siècle. Car, avant cette période, la France n’existe pas en Amérique du Sud tout comme la Hollande et l’Angleterre.
Donc, cette histoire est celle qui commence formellement avec la France à partir de 1604 au début du 17ème siècle. Par conséquent, une histoire liée à la colonisation, à l’esclavage et à la pseudo départementalisation qui pourrait ressembler par analogie aux mandats que la Société Des Nations (SDN) avait délivrés en 1923 sous couvert de Protectorat aux deux empires coloniaux de l’époque que sont la France et l’Angleterre. Ce protectorat en Palestine n’était pas autre chose qu’une colonisation déguisée en manipulant les Juifs et les Arabes qui faisaient partie de l’Empire Ottoman déclinant. Quelle en est la conséquence aujourd’hui ? La Guyane territoire de 90 000Km² de superficie est classée en 1946 parmi les départements de France. Une sorte de monstre au regard de la superficie moyenne des départements de l’Hexagone qui est d’environ 9000Km².
Comprendre cette philosophie est surtout de remarquer l’incapacité de cette société dominante à se déconstruire de sa pensée coloniale étant entendu que celle-ci est un projet politique qui peut changer de dénomination sans que le concept change réellement. Il est pertinent de noter que les colonisateurs qui étaient pour la plupart des va-nu-pieds dans la société française étaient protégés par les lois de la France au sein de ce pays qui allait vite devenir une colonie alors que les peuples qui y vivent depuis des milliers d’années y sont soumis. L’esclavage qui débute dès la moitié du 17ème siècle est aussi un marqueur de cette société dominante qui a également du mal à se déconstruire de son racisme. Au terme de ce processus reconnu plus tard, au 20ème siècle, comme crime contre l’humanité, l’Etat français, par la loi, a dédommagé les esclavagistes à hauteur de l’équivalent de 4 milliards d’euros d’aujourd’hui. C’est la démonstration que la colonisation comme l’esclavage sont l’émanation d’une idéologie éminemment raciste. Que veut-il de plus en ce 21éme siècle ?
Nous avons donc le devoir, l’obligation de respecter la mémoire de nos ancêtres et celle-ci n’a pas de prix. L’argent ne peut pas tout permettre. La violence, la force, la malignité, la ruse ne peuvent pas continuer à être la base de la construction de notre territoire. Il y a les Institutions nationales. Mais il y a également les Institutions supranationales et les Institutions internationales. Enfin, si toutes ces institutions sont impuissantes face à ce défi de justice, il reste la volonté individuelle et collective pour que ça cesse.
En 1992 un vent de dignité s’est mis à souffler sur le pays. Comme un volcan qui renaît de ses cendres, le peuple s’est mobilisé particulièrement à cause de la corruption qui gangrénait notre société. Bien sûr, quand il y a corruption, il y a forcément à minima un corrupteur et un corrompu et l’organisation du système n’y est pas étrangère.
Durant cette période, est apparue une femme avec les idées claires, dotée d’une forte personnalité, méthodique, organisée et en 1993, elle est élue députée de la première circonscription en Guyane. Elle s’appelle TAUBIRA-DELANNON Christiane. Elle va donner un nouveau souffle à la lutte sur la question foncière sur le territoire de la Guyane.
Indépendamment de tous les sujets qu’elle a soulevés selon le Journal Officiel et pour lesquels elle a proposé des solutions rendues publiques, la question foncière est celle qui retient mon attention parce que ma conscience me conduit à penser que c’est la victoire du bien sur le mal et que seul le bien est une cause légitime de pérennité étant entendu que les critères retenus pour la notion de bien sont la vérité, la justice et la notion d’utilité publique.
En 1994, en sa qualité de députée, elle va porter au plus haut niveau de l’Etat la problématique foncière en Guyane. Ainsi, « la loi du 25 juillet 1994, article 36 de la loi - dispositions codifiées aux articles L91-1-1 L91-2, créant l’Etablissement Public d’Aménagement de Guyane et offrant la possibilité de concession et de cession de terres à cet établissement » est votée.
Cette lutte pour la création de cet outil dénommé l’EPAG n’a pas été sans embûches et, comme inscrit officieusement dans ses principes, l’Etat ne fait jamais seul ce type de démarche. Il a besoin d’être accompagné par quelques locaux qui peuvent être comparés à des supplétifs. L’aval de toute la population n’est nullement nécessaire. C’est une vérité historique. En l’occurrence, le député de la deuxième circonscription monsieur Léon BERTRAND a été d’une efficacité incontestable pour permettre à l'Etat d'amoindrir l'ambition de cet outil. Par exemple, grâce à son amendement n° 134, quatrième rectification, il fait tomber l’amendement n°185 de la députée de la première circonscription. Il nous doit aujourd’hui une réparation compte tenue de la situation. Je vous invite à prendre connaissance, sur le journal officiel, du débat qui a eu lieu pour la création, par la loi du 25 juillet 1994, de l’EPAG.
Le 18 septembre 1998 à l’occasion de « l’ordonnance n° 98-777 du 2 septembre 1998 portant dispositions particulières aux cessions à titre gratuit des terres appartenant au domaine privé de l’Etat en Guyane », la députée de la première circonscription a invité notamment, par visioconférence, toutes les associations foncières à participer à cette séance de travail et d’informations. Une sacrée avancée pour tous les Guyanais et contre l’injustice. Pour plus de précision, je vous recommande le document intitulé « La question foncière en Guyane de Christiane TAUBIRA-DELANNON ».
Durant les débats enregistrés au journal officiel, l’Etat reconnait le bien fondé de la création de cet office. Le ministre des départements et territoires d’outre-mer de cette époque se félicitait en précisant que le système qui était en place était dépassé, qu’il ne permettait pas de gérer de façon « professionnelle », de façon techniquement valable, le problème de distribution et d’affectation des terres. Pour lui, la création de cet outil foncier était un grand pas dans la bonne direction et que le Gouvernement avait bien la volonté de sortir intelligemment et efficacement d’un système qui disait-il à l’époque est aujourd’hui quelque peu bloqué.
Comment expliquer qu’en 2016 l’Etat décide de substituer l’EPFAG à l’EPAG ? Quels mobiles sérieux font que l’EPAG devient l'EPFAG ? Est-ce les conséquences retracées dans le rapport CGAAER n° 12022 de juillet 2012 à la page 20 ? Si on fait disparaître un Etablissement Public juste parce qu’on a recueilli des avis négatifs sur son fonctionnement ou parce que la politique du Conseil d’Administration était en inadéquation avec les compétences attribuées, alors, il y a beaucoup d’autres Institutions qui devraient connaître le même sort.
On a légitimement le droit de se placer dans un angle différent et considérer politiquement que l’EPAG étant un Etablissement créé spécifiquement pour le transfert des terres appartenant au domaine privé de l’Etat vers une rétrocession conforme aux différents décrets et de surcroît, résultant d’une initiative locale, faisait tâche dans la conception de cette société dominante. La vengeance étant un plat qui se mange froid, il fallait qu’il disparaisse, à un moment donné, au nom de l’histoire. Par suite, il n’est pas interdit de penser que si le Territoire, en tant que corps physique, est une préoccupation essentielle pour l’Etat, les peuples qui y vivent apparaissent clairement comme quantité négligeable devant rester à leur place d’où le sentiment qu’aucune initiative venant d’eux pour leur propre bien-être ne peut être pris en considération dans l’histoire du peuple français.
Bien sûr, il y a beaucoup à dire sur le comportement particulièrement des élus composant le Conseil d’administration de l’EPAG avant sa disparition. Mon intention est de faire un opuscule sur ce que l’on perd avec la disparition de cet outil tant sur le plan de l’opinion que l’on a de soi que sur les conséquences de cette disparition qui pour moi est un assassinat.
A suivre…
L’EPFAG, l’OIN, le droit de préemption
L’Office notarial, les titres de propriété et la succession