Remerciements : Toute ma famille et moi-même avons été touchés par vos témoignages de soutien, de sympathie et d’affection lors du départ de Kérann vers l’éternité. Nous vous exprimons à tous, Personnalités et Anonymes, nos très chaleureux remerciements. Nous sommes convaincus que cet élan d’affection lui permettra de trouver dans cet orient éternel la lumière qui lui a fait défaut sur terre.
Kérann Taubira est né le 25 septembre 1992, il a mis un terme à sa vie. C’était mon fils. Il avait seulement dix huit ans. Pire, cela faisait seulement 38 jours qu’il venait de les avoir. Comme pour Amélie, cela paraît toujours injuste de voir un jeune plein de vie partir vers l’orient éternel. Je ne sais pas au plus profond de moi s’il s’est suicidé ou s’il a été contraint au suicide. En ce moment où la souffrance est sans douleur, je pense à sa copine Magalie et je voudrais lui dire de ne pas culpabiliser. Elle n’y est pour rien. Kérann a été victime d’adultes. Ces adultes qui exigent l’exemplarité à leurs progénitures ou aux adolescents en général alors qu’ils n’ont pas été eux-mêmes exemplaires. Lorsque vous scrutez leur vie il apparaît que leur adolescence a été dix fois plus tumultueuse que celle de leurs enfants et pour autant ils ne savent raison garder. Ils sont animalement d’un rigorisme qu’ils ne se sont jamais imposés.
Par dignité pour lui, je ne dirai pas tout ce que je pense de ce drame. Je sais qu’il y a des hommes et des femmes qui sont biens, je sais également qu’il y a des hommes et des femmes qui sont exécrables. Mais je sais surtout, parce que je crois en la force de l’esprit, que lorsqu’intervient un tel arrêt, seule la conscience nous ramène à notre existence et à nos actes. On ne peut y échapper et le prix à payer est en adéquation avec l’acte accompli. Alors, j’ai envie de vous faire partager ma réflexion sur cette nouvelle expérience acquise qui génère selon moi une grande souffrance sans douleur particulière.
Si vous connaissez la Guyane, vous vous rendrez compte que la liberté est spontanée, particulièrement la liberté d’action. Nous avons de grands espaces (les terrains vagues, la rue, les savanes, les rivières, les fleuves, les espaces publics etc.), nous pouvons les coloniser dès notre plus jeunes âges. Nous avons de grandes familles, nous avons donc la liberté de choix, et par irresponsabilité le plus souvent les enfants sont largués chez tatie, chez grande tatie, chez mamie, chez papy, chez cousin, cousine, chez ami untel etc. .
Dès le plus jeune âge les enfants sont donc formatés dans la liberté individuelle et cultivent une forme d’anarchie. De surcroît, le monde change et les supports d’information et de communication se démocratisent et viennent renforcer cette forme de liberté d’action par une liberté d’esprit sauf qu’il n’y a aucun repère, aucune initiation à la contrainte. Souvent cette liberté arrange certains parents qui pensent plus à leurs droits qu’à leurs devoirs, qui pensent plus à leurs droits dans une optique matérialiste qu’à leurs devoirs dans le sens de la responsabilité sociale. Les enfants finissent donc par réaliser leur personnalité très tôt dans un espace de totale liberté à travers les événements de leur milieu. Sans distinction ils assimilent, puisque livrés à eux-mêmes, leur réalité et celle qu'ils croient être la leur. Les émissions télévisées par exemple, leur apprennent à découvrir très tôt les sentiments amoureux sans qu’ils aient la possibilité de contrôler leurs pulsions amoureuses et, on finit par dire qu’ils sont fragiles. D'autre part, notre société offre l’illusion de la richesse dans une réalité de misère et certains adultes pensent que le m’as-tu vu est nécessaire à leur existence. Ils oublient les enfants et font la course à l'argent. Ils vont jusqu'à les manipuler pour "un franc six sous"
Pas étonnant qu’à l’adolescence, certains parents ne connaissent pas leurs enfants et la réciproque est également vraie. Intervient donc le conflit et la crise d’adolescence. Il va de soi que l’autoritarisme n’est pas la réponse appropriée. Le choix d’expédier les enfants vers l’hexagone dans des structures rigoureuses du type jésuite, dominicain, n’est pas en adéquation avec l’apprentissage de la liberté ci-dessus exposée, quand bien même elles peuvent se justifier dans leur environnement hexagonal. Il s'ensuit un conflit avec la personnalité de l’adolescent. L’échec est assuré et le pire est à prévoir.
A mon sens, il faut un brin d’honnêteté et de courage pour admettre que lorsque l’on a, pour x raisons et notamment pour des raisons bassement matérielles, purement égoïstes, raté la relation parent-enfant, on se doit de faire l’effort d’accompagner l’adolescent dans sa réalisation, d'éviter de le jeter dehors de la maison à sa préadolescence, prendre le soin de l’écouter, de l’entendre pour connaître sa souffrance ses difficultés, ses contradictions, ses influences, ses désirs, ses interrogations. Il faut repenser à sa propre adolescence même si l’espace temps n’est plus le même pour lui apporter son expérience, sa raison, indépendemment du fait qu’il y ait une contradiction dans notre société entre cette liberté individuelle et la loi sociale liée au sous-développement. Chacun se doit d’assumer ses responsabilités.